1950,RAVI, Liège, 2023

RAVI, Résidences-Ateliers Vivegnis International, place Vivegnis 36, 4000 Liège, Belgique


1950

Sebastian Eeckhaut

Vit et travaille à Bruxelles

En résidence aux RAVI de janvier à mars 2023

On a déjà trop écrit au sujet de la classification des activités artistiques. Pour faire court, je me bornerais à la constatation que leur taxinomie a la souplesse d’une jambe de bois. Elle cortège une figure imposée laquelle prend la forme de querelles plus stériles qu’un sol pollué à l’Agent Orange et tendant à l’exclusion de telle ou telle pratique hors du champ de l’art. On pourrait les croire révolues mais non. Il suffirait de relever l’humeur condescendante des tenants des genres sacralisés vis-à-vis de recherches jugées mineures parmi lesquelles les produits dérivés du Street Art figurent en bonne place. Le graffeur ne serait pas peintre et, quand il ne travaille pas dans la rue, il devrait se trouver colloqué aux cimaises des galeries spécialisées dans le fourre-tout de l’Art Urbain.

La note d’intention laissée par Sebastian Eeckhaut (Bruxelles, 1976) pour l’appel à projet lancé par les RAVI laisse penser qu’il a maille à partir avec ces questions. Il y rappelle son histoire depuis le début des années ‘90 quand il bombe à la sauvage sous le pseudonyme de VEKS. On y apprend aussi que ses premières toiles à écriture géométrique apparaissent voici plus de 20 ans : elles évoluent et, dans la foulée, VEKS fait place à Blancbec, un nouveau « blaze » choisi  en raison d’une iconographie marquée par le motif de l’oiseau mais aussi parce que l’artiste s’estime « sans expérience » … de peintre sans doute. Il conclut son texte en affirmant son intention de sortir du carcan Post Graffiti et du réseau dans lequel il est contraint. On comprend la pertinence d’une résidence aux RAVI où la place laissée à l’expérimentation, même hasardeuse, peut être grande. Sebastian Eeckhaut s’y est donc essayé à des pratiques nouvelles pour lui, d’abord la peinture à l’huile sur des petits formats et puis l’installation visible à son ouverture d’atelier. Il l’intitule 1950 comme le code postal de Kraainem où il a grandi. 

Reste qu’il ne s’agit pas pour autant de pièces de circonstance. Blancbec avec la naïveté de ses figures tirées au cordeau, la pose des couleurs en aplats et ses références autobiographiques est toujours bien là. Dans l’atelier des RAVI, il y a surtout des T-shirt taillés comme pour habiller une personne souffrant de gigantisme. D’abord, une marinière avec des épingles à nourrice renvoie à la très petite enfance de l’artiste et aussi au Labyrinth de Jim Henson où Toby, le bébé demi-frère de l’héroïne, porte une brassière rayée. Au milieu de l’espace pendent cinq T-shirt qui déploient l’image d’un château fort médiéval type « conte de fée ». Au centre, il y a la maison de la mère de Sebastian Eeckhaut, avec une seule lumière allumée à la fenêtre de sa chambre de jeune homme. Dans le jardin s’élève un sapin en pleurs ; faut croire que les Noëls n’ont pas tous été joyeux. Elle repose sur les créneaux au-dessus d’une entrée à visage anthropomorphe et menaçant, avec sa herse à l’allure de denture ébréchée. On peut franchir les douves : le pont-levis est baissé. De part et d’autre s’organisent suivant une composition symétrique les murailles et les tours : « Les fortifications symbolisent les protections que j’ai, comme d’autres, érigées à l’adolescence pour me défendre », explique l’artiste. Elles sont garnies de fleurs à face d’émojis lesquelles, comme le tapis de verdure au sol, rappellent que Sebastian Eeckhaut fut fleuriste. Le ciel est traversé par des nuages noirs qui vomissent une pluie pure comme de l’eau de roche. Les extrémités de l’ensemble sont occupées par les tours d’angle. De chaque côté, on voit un oriel défensif d’où pend une cage de fer sans supplicié, à moins qu’il s’agisse d’une volière sans volatile. Au chemin de ronde apparaît encore une chauve-souris aux ailes éployées. Puis, au mur claironne un écu « à un oiseau d’argent et d’acier » : il nous renseigne que Blancbec est bien le seigneur du château. L’installation se clôture avec un projecteur braqué sur un T-shirt vierge.

« Je suis revenu à l’idée que nos vêtements sont des armures certes pas tout à fait semblables à celles des chevaliers qu’on imagine occupant la forteresse mais quand même, souligne l’artiste. Leur taille quadruple XL les associe aux formes des étendards, des bannières. Toutes ces références au Moyen Age me sont venues quand j’ai commencé à réfléchir sur mes blazes qui, pour moi, renvoient aux armoiries de la chevalerie. L’installation des RAVI apporte des réponses à mes questionnements à ce sujet, surtout sur ce qu’implique l’effacement de ma véritable identité. » Ces considérations ont une portée moins personnelle qu’il paraît en première lecture. Elles sont en outre récurrentes chez les créateurs travaillant sous pseudonyme. Il y a de la densité poétique dans la façon dont 1950 les incarne. Le T-shirt éclairé ne met-il pas en scène la dualité du sujet et de sa projection ? Ici, Sebastian Eeckhaut, le peintre, prend le dessus ; c’est lui qui conçoit l’installation. Mais Blancbec, l’activiste du Post Graffiti, est toujours bien là, en appui ; c’est lui qui fournit les visuels. Comme dans un conte schizophrénique qui finit bien, l’artiste et sa créature cohabitent dans le même ensemble ; ils valsent dans l’espace de la Danse macabre reproduite dans les sérigraphies affichées au mur, dans un élan partagé et sans se marcher sur les pieds. Mais jusque quand cela va-t-il encore durer ? Est-ce que poser la question n’est pas déjà y répondre ?

Pierre Henrion

Photos: Alexia Mary



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